L’art du fragment : quand le temps façonne l’œuvre
Le XIXe siècle nous offre des exemples fascinants de compositions créées sur le temps long, où l’inspiration surgit par fragments, au gré des voyages et des expériences. Cette approche fragmentaire, loin d’être un défaut, devient une force créatrice qui enrichit l’œuvre de multiples influences.
Ce fut notamment le cas pour Hector Berlioz. Sa lecture passionnée du Faust de Goethe le poursuit pendant près de 20 ans, nourrissant sa créativité au fil de ses pérégrinations européennes. Au rythme de ses concerts, de ville en ville, de café en chambre d’hôtel, il compose. Un refrain de chœur paysan surgit à Budapest, une apothéose céleste prend forme à Prague, une chanson d’étudiants s’esquisse à Breslau… Cette mosaïque musicale, assemblée au fil du temps et des voyages, donne naissance à une œuvre unique où les chœurs jouent un rôle central.
D’autres Faust au temps long
Berlioz n’est pas le seul compositeur inspiré par l’œuvre de Goethe. Robert Schumann en fit un oratorio profane Szenen aus Goethes Faust (Scènes du Faust de Goethe). Il commence les premières esquisses de cette partition en 1844 … par la scène finale ! Et achève par l’ouverture en 1853. Près de dix années d’écriture et autant à attendre sa création en 1862, à Cologne. Une attente vaine, le compositeur étant décédé en 1853. La scène finale « Alles Vergänglich ist nur ein Gleichnis » est considérée comme une des plus belles pages pour chœur de Schumann.
Franz Liszt nous offre un autre exemple avec sa Faust-Symphonie. Les premiers fragments de l’œuvre remontent aux années 1840, mais ce n’est qu’en 1857 qu’elle sera créée dans sa version finale à Weimar. Entre-temps, Liszt a continuellement retravaillé sa partition : l’été 1854 voit naître la majeure partie de l’œuvre, mais les révisions se poursuivent dans les années suivantes. L’ajout du « Chorus Mysticus » pour chœur masculin et ténor solo vient enrichir la partition originale, et même en 1880, près de 25 ans après la première version, Liszt ajoute encore une dizaine de mesures au second mouvement. Cette gestation sur le temps long, comparable à celle de La Damnation de Faust de Berlioz, témoigne d’une approche où l’œuvre évolue et mûrit avec son créateur.